Le gaz hilarant, on ne le connaissait plus guère qu’à travers les films muets : Charlie Chaplin, notamment, avait exploité le potentiel comique du protoxyde d’azote (N2O) dans son film « Laughing Gas », datant de 1914. À l’époque, ce gaz était utilisé comme anesthésiant par les dentistes. Aujourd’hui encore, cette substance reste utilisée dans certains domaines médicaux pour calmer les nerfs – et depuis peu, elle fait figure de drogue festive dans les grandes métropoles.
Outre le danger que constitue ce gaz pour la santé des fêtards – jeunes pour la plupart – les cartouches de protoxyde d’azote constituent un défi majeur pour le secteur du recyclage. D’une part, on manque de processus éprouvés et de ressources suffisantes pour assurer leur valorisation. D’autre part, les cartouches peuvent causer des dégâts dans les incinérateurs lorsqu’elles ne sont pas entièrement vidées, entraînant notamment des explosions. Les réparations qui s’en suivent se chiffrent déjà en millions.
Dans toute l’Allemagne, les entreprises du secteur du recyclage mettent en garde
Des plaintes relatives à ce phénomène ont ainsi été déposées à Hambourg, Berlin et Francfort : pour la seule ville de Francfort, en 2023, environ 4.000 bonbonnes de gaz ont fait l’objet d’une collecte séparée, ou d’un tri sélectif en aval, effectués par la société FES (la Frankfurter Entsorgungs- und Service GmbH) – un partenariat public-privé conclu entre la ville de Francfort et REMONDIS. Ceci afin d’éviter les risques et les dégâts potentiels lors du traitement ultérieur. Le coût de cette valorisation se chiffre à plusieurs dizaines de milliers d’euros.
Les cartouches – généralement présentées comme « propulseurs » pour la fabrication de crème fouettée, mais commercialisées de manière bien séparée – s’achètent très facilement dans les kiosques et les bars du centre-ville ainsi que dans les distributeurs automatiques. L’offre des sociétés de vente par internet est, elle aussi, impressionnante.
Qu’elles soient en acier ou en aluminium, ces cartouches contiennent au minimum huit grammes de gaz. Lorsqu’elles sont complètement vides, elles peuvent prendre le chemin du recyclage des déchets métalliques. Mais pour peu que leur contenu n’ait pas été entièrement utilisé, elles représentent un danger majeur, aussi bien pour les employés des entreprises de recyclage que pour leurs véhicules ou pour les incinérateurs de déchets. Elles sont en effet susceptibles d’éclater, provoquant des dégâts considérables. D’autant que, bien souvent, elles sont jetées négligemment dans les ordures ménagères ou tout simplement dans les poubelles publiques de la ville, où elles sont ensuite ramassées par les services de propreté urbaine pour finir sur les lignes de valorisation énergétique.
Dans le cadre d’une enquête menée auprès de ses membres, l’ITAD – le Groupement d’intérêt des unités de valorisation thermique des déchets en Allemagne – a constaté, dès le printemps 2024, que depuis le début de l’année 2023, les dommages mensuels causés aux hublots des incinérateurs avaient été multipliés par trois en à peine plus d’un an. Ces hublots permettent au personnel de l’incinérateur d’observer et de contrôler le bon fonctionnement de l’installation. Certes, seul un nombre limité de cas a permis d’établir un lien direct entre les dommages causés et la présence d’une cartouche de protoxyde d’azote. Toutefois, la découverte de cartouches de protoxyde d’azote endommagées dans la fosse à cendres, après l’incinération, constitue un indice probant.
Des filières de recyclage bien rodées mais aux capacités limitées
Comme le souligne Deimantas Herrmann du site REMONDIS Industrie Service à Bramsche, il existe en réalité des filières de traitement et de valorisation bien rodées pour ce type de bonbonnes de gaz. Chaque mois, ce sont des centaines de cartouches qui atterrissent dans cette unité pour y être vidées – manuellement si nécessaire. Le gaz est ensuite brûlé afin d’éviter les effets néfastes sur le climat et les cartouches sont envoyées au centre de valorisation des métaux après avoir été désassemblées et séparées en deux.
Les cartouches en question sont le produit d’une élimination non conforme, sans compter qu’elles ne sont parfois ni agréées ni étiquetées de manière conforme aux dispositions légales. En conséquence les frais liés à leur élimination incombent à la personne qui les trouve. Il peut s’agir de services municipaux de propreté urbaine, de particuliers qui rapportent des cartouches trouvées dans des parcs ou sur des propriétés privées, mais également de la douane ou de la police qui ont confisqué ces cartouches.
Même jetées dans les sacs ou les poubelles jaunes, les cartouches mal vidées représentent un danger bien réel, notamment lors des opérations de tri mécanique. Deimantas Herrmann insiste : « Actuellement, je considère qu’il n’existe pas, en Allemagne, de capacités suffisantes pour éliminer toutes les bonbonnes dans les règles de l’art ».
La pression qui pèse sur certaines municipalités face à ce nouveau défi se traduit dans leur manière très disparate de sensibiliser leurs concitoyens aux bonnes pratiques dans la gestion des cartouches de gaz : Si certaines recommandent de recycler les bonbonnes dans les sacs ou les poubelles jaunes, d’autres au contraire désignent les centres de recyclage comme l’interlocuteur privilégié. Enfin, certaines conseillent tout bonnement de rapporter les cartouches usagées, non pas au centre de recyclage, mais chez le revendeur concerné. Dans l’ensemble, malgré une réglementation somme toute assez précise, la situation est donc loin d’être satisfaisante pour tous les acteurs concernés.
« Actuellement, je considère qu’il n’existe pas, en Allemagne, de capacités suffisantes pour éliminer toutes les bonbonnes dans les règles de l’art »
Deimantas Herrmann, REMONDIS Industrie Service à Bramsche
Mise en place d’une consigne ou interdiction pure et simple?
Thomas Drewer, responsable, entre autres, des activités relatives aux incinérateurs de déchets de Francfort et de Mayence, exploités conjointement avec des partenaires communaux, dans la région Sud-Ouest de REMONDIS, en appelle avant tout aux usagers : il est primordial de ne pas se débarrasser des cartouches usagées dans la nature. « Au bout du compte » , explique Drewer, « on ne pourra pas faire l’économie d’une solution qui rende la récupération des cartouches plus attractive par le biais d’une consigne. À moins que l’on ne fasse le choix, comme c’est déjà le cas, par exemple, aux Pays-Bas ou en Grande-Bretagne, de retirer complètement le produit du marché compte tenu de son risque pour la santé. ».
Le gaz hilarant
Le protoxyde d’azote, également connu sous le nom de protoxyde d’azote (N₂O), est un gaz incolore et ininflammable, répandant une odeur légèrement sucrée. Il est toutefois très réactif et peut provoquer des incendies et des explosions lorsqu’il est exposé à des températures élevées ou à certaines substances.
Le gaz est employé dans des domaines très divers, parfois mélangé à de l’oxygène. En médecine, le protoxyde d’azote est utilisé pour les anesthésies en raison de ses effets analgésiques et anesthésiants, en particulier en médecine dentaire et en obstétrique. Dans l’industrie, il sert de gaz propulseur dans les bombes aérosols et d’agent fouettant dans les bombes de crème chantilly. C’est de cette façon qu’il se retrouve entre les mains des consommateurs finaux. Il est, en outre, utilisé comme engrais dans l’agriculture.
Le protoxyde d’azote est nocif pour le climat. C’est en effet un puissant gaz à effet de serre considéré comme près de 265 fois plus nocif que le dioxyde de carbone. Le gaz hilarant reste plus de 100 ans dans l’atmosphère, contribuant à la fois au réchauffement climatique global et à la destruction de la couche d’ozone.
Lorsqu’il est inhalé, le protoxyde d’azote présente un risque pour la santé humaine. Il peut ainsi provoquer des vertiges, des étourdissements et des nausées. À des concentrations élevées, il existe un risque de perte de conscience et de carence en oxygène susceptible d’aboutir à des lésions cérébrales. L’utilisation régulière de gaz hilarant peut donc entraîner de graves problèmes de santé, endommageant également les voies respiratoires et les poumons.
Le gaz hilarant freine l’utilisation de la vitamine B12 dans le corps, laquelle est essentielle à la santé des cellules sanguines et nerveuses. Utilisé comme drogue festive, ce gaz présente des dangers plus importants encore : En effet, il peut entraîner des troubles de la coordination, des thromboses, des embolies ou encore des crises cardiaques. Sans parler du risque d’accident lié aux états d’hébétude et de désorientation.
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