Pierre Vasseur est Président du Conseil d’administration de REMONDIS Schweiz AG. Nous l’avons interrogé sur l’état actuel de l’économie circulaire en Suisse, le degré de discipline des citoyens suisses en matière de collecte et les perspectives d’avenir.
RE:VIEWS: Monsieur Vasseur, en tant que Président du Conseil d’administration, vous êtes responsable des activités de REMONDIS en Suisse. Or, en raison de sa situation d’état enclavé et neutre en matière de politique étrangère, la Suisse se trouve un peu dans l’ombre de ses voisins de l’UE. Pouvez-vous nous décrire brièvement l’état actuel de l’économie circulaire en Suisse ?
Pierre Vasseur: La Suisse dispose d’une économie circulaire bien établie, qui suit de près la législation européenne sur les déchets et qui est en accord avec elle dans de nombreux domaines. Comme elle, elle se fonde sur la hiérarchie des déchets et donne la priorité à la prévention, c’est à dire à la réduction des déchets. Le gouvernement, l’industrie et la population collaborent étroitement afin d’optimiser la gestion des ressources et de limiter les déchets. Le marché suisse s’est certes libéralisé mais il reste néanmoins suffisamment compatible avec l’UE pour que la collaboration soit fructueuse.
RE:VIEWS: Selon les estimations, chaque habitant en Suisse génère en moyenne près de 700 kilos de déchets ménagers et assimilés (ce qu’on appelle les « déchets urbains ») par an, ce qui est nettement supérieur à ses voisins européens. À titre de comparaison, la moyenne européenne se situe autour de 530 kilos par personne. Quelle est votre réaction face à ces chiffres ?
Pierre Vasseur: Les besoins accrus en matières premières et le niveau élevé de consommation sont avant tout liés à la puissance économique d’un pays et au pouvoir d’achat de sa population. Ces deux paramètres sont particulièrement élevés en Suisse. Mais comme nous l’avons déjà mentionné en introduction, la Suisse dispose également d’une infrastructure très développée en matière de gestion des déchets. Près de 50 pour cent des « déchets urbains » font l’objet d’une collecte séparée et on compte plus de dix catégories différentes. Cela se traduit par des taux de collecte et de recyclage très élevés.
RE:VIEWS: Les Suisses font donc preuve d’une grande discipline en matière de collecte et de tri.
Pierre Vasseur: En effet, les Suisses sont des collectionneurs dans l’âme. Et ce trait de caractère se retrouve également lorsqu’il s’agit de déchets. Nous le constatons de manière très concrète avec le verre : en le séparant soigneusement par couleur, nous atteignons un taux de collecte d’environ 98 pour cent. Les bouteilles en PET et les canettes sont également triées minutieusement et apportées au centre de recyclage. Pour inciter au tri sélectif, des taxes sur les sacs poubelles ou des taxes en amont dans les magasins et les commerces sont également prélevées. En revanche, il n’existe pas de système de consigne à l’échelle nationale.
Afin de rendre le dépôt des déchets plus flexible, nous avons introduit depuis un certain temps un dispositif de libre-service dans notre centre de recyclage de Wallisellen, qui peut être utilisé 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Ce système reçoit un accueil très favorable. Nous avons récemment enregistré près de 35 000 visiteurs en un mois. En dehors des heures d’ouverture régulières, l’accès se fait grâce à un système de barrières. L’entrée coûte cinq francs par visite. Force est de constater que les gens font preuve d’une discipline de tri rigoureuse et apportent leurs déchets à la déchetterie après les avoir préalablement soigneusement triés. Et pour éviter les risques d’erreurs ou d’abus, le numéro d’immatriculation de la voiture est enregistré à l’entrée. Cela a un effet dissuasif !
RE:VIEWS: Vous avez mentionné qu’il n’existe pas de système de consigne à l’échelle nationale. De manière générale, comment l’économie circulaire est-elle mise en œuvre dans le pays ?
Pierre Vasseur: Pour le comprendre, il faut d’abord revenir sur le système politique. La Confédération suisse est un État fédéral composé de 26 cantons, en partie souverains. Dans le domaine de l’économie circulaire, l’État fédéral dispose d’une législation très complète dont la mise en œuvre incombe aux cantons et aux communes. Autrement dit, ce qui est prescrit sous la forme d’une loi nationale peut être interprété et mis en œuvre de différentes manières à l’échelle locale puisque la compétence relève des cantons et des communes.
RE:VIEWS: Pourriez-vous nous donner un exemple concret ?
Pierre Vasseur: Oui, prenons le cas des vignettes à apposer sur les déchets. En Suisse, ce sont les communes qui sont responsables de la collecte des déchets ménagers. Les vignettes sont des étiquettes émises par les différentes municipalités et collées sur les sacs poubelle. Une partie des coûts de collecte et de recyclage des déchets ménagers est financée par ces fameuses vignettes, l’autre partie par les impôts. Ce sont les communes qui décident de la répartition.
Mais comme on pouvait s’y attendre, il existe aussi des exceptions. Ainsi, jusqu’à présent, Genève est le seul canton suisse à ne pas avoir introduit de vignettes pour les déchets. En revanche, les coûts administratifs liés à la collecte et au recyclage des déchets sont entièrement financés par les impôts. Genève occupe ainsi une position à part dans le paysage suisse.
RE:VIEWS: En Allemagne, plus de 10.000 entreprises communales et du secteur privé assument la responsabilité de l’élimination et du recyclage des déchets résiduels dans le respect des normes environnementales, ainsi que de la récupération de matériaux valorisables issus des déchets ménagers, ou des déchets industriels. Quelle est la situation du marché en Suisse ?
Pierre Vasseur: Dans l’ensemble, le marché de l’économie circulaire en Suisse est très atomisé, avec un grand nombre de petites entreprises et un panel de prestations très diverses. Ne perdons pas de vue qu’il existe environ 3.600 communes qui, chacune de leur côté, lancent des appels d’offres et confient la gestion des déchets à des entreprises privées ou assurent elles-mêmes ce service. Au regard des 8,7 millions d’habitants, cela représente un nombre relativement important de communes.*
RE:VIEWS: Qui assume la responsabilité du recyclage thermique dans le pays ?
Pierre Vasseur: En Suisse, il existe une trentaine d’usines d’incinération des ordures ménagères (UIOM) exclusivement gérées par les pouvoirs publics, c’est-à-dire les communes ou les cantons. Ainsi, par exemple, un collectif regroupant les régions de Saint-Gall – Rorschach – Appenzell s’est constitué pour exploiter conjointement la centrale de valorisation énergétique des ordures ménagères de Saint-Gall. En Suisse, les « déchets urbains » mélangés sont intégralement valorisés thermiquement. L’énergie libérée est ensuite utilisée directement sous forme de chaleur et/ou pour la production d’électricité.
* À titre de comparaison : fin 2021, le nombre total de communes en Allemagne était de 10.789.
« La Suisse dispose d’une économie circulaire bien établie, qui suit de près la législation européenne sur les déchets et qui est en accord avec elle dans de nombreux domaines. »
Pierre Vasseur, Président du Conseil d´administration de REMONDIS Schweiz
RE:VIEWS: Le recyclage thermique et la valorisation énergétique génèrent des mâchefers et des cendres volantes susceptibles de faire, à leur tour, l’objet d’une valorisation. Où en est la législation en Suisse en la matière ?
Pierre Vasseur: Avec l’introduction de l’interdiction de mise en décharge à la fin des années 1990, la valorisation énergétique a pris une ampleur nouvelle en Suisse. Ce processus génère effectivement des résidus qui peuvent être à leur tour valorisés. Toutefois, en Suisse, à l’heure actuelle, il est interdit d’utiliser les mâchefers issus de l’incinération des ordures ménagères comme matériau de construction.
Pour les cendres volantes, la situation en matière de recyclage est un peu différente. Les cendres volantes issues de l’incinération des déchets contiennent de grandes quantités de métaux lourds qui ont vocation à être réintroduits dans le circuit en tant que matériaux valorisables. Alors qu’en Allemagne, les cendres volantes sont stockées sous terre dans des mines de sel pour servir de matériau de remblayage, en Suisse, le législateur exige, depuis début 2021, le traitement complémentaire des cendres volantes afin d’en récupérer les métaux, notamment le zinc.
Cependant, la construction et la gestion d’une unité de traitement spécifique ne sont guère rentables, en particulier pour les petites usines d’incinération des ordures ménagères. Sur ce point, la société Chiresa AG a très bien anticipé la situation en concevant et en construisant une nouvelle unité à Full-Reuenthal. Ce site permet de laver et de traiter chaque année environ 12.000 tonnes de cendres volantes provenant des incinérateurs de la région. À l’issue du recyclage, les cendres résiduelles ainsi lavées sont mises en décharge.
RE:VIEWS: Pouvez-vous nous décrire brièvement l’étendue des activités de REMONDIS en Suisse de manière générale ?
Pierre Vasseur: REMONDIS Schweiz AG est présente sur le marché depuis plus de 25 ans. Durant cette période, nous avons toujours réussi à élargir et à diversifier nos activités. De ce point de vue, notre appartenance au groupe REMONDIS, qui nous donne accès à une expertise multisectorielle et internationale, constitue un atout précieux.
Actuellement, notre chiffre d’affaires annuel dépasse les 100 millions de francs suisses et nous sommes considérés comme le numéro deux des entreprises de recyclage en Suisse. Si l’on tient compte des participations, nous évoluons sur sept succursales, et offrons, avec plus de 300 collaborateurs, un service complet à destination des entreprises privées, des industriels et des collectivités locales. Depuis 2007, notre siège social se trouve à Schaffhouse. C’est de là que nous gérons l’ensemble de nos prestations pour nos quelque 8.000 clients répartis dans toute la Suisse.
« Dans l’ensemble, je considère que la Suisse est très en avance dans le domaine de l’économie circulaire qui y est déjà solidement implantée et bien organisée »
Pierre Vasseur, Président du Conseil d´administration de REMONDIS Schweiz
RE:VIEWS: Concrètement, de quelles prestations s’agit-il ?
Pierre Vasseur: Notre portefeuille s’est développé au fil du temps. Les débuts remontent à 1976, année de création de la société B. Spadin AG, dans laquelle RETHMANN Recycling a pris une participation en 1994. Notre entreprise d’origine était spécialisée dans le recyclage des pellicules photo argentiques, des films radiographiques et autres déchets issus de l’industrie du traitement de l’image. Même si la numérisation a transformé les activités en lien avec les images analogiques, cette participation nous a permis d’accéder à un autre marché de premier plan : le secteur médical. Ce secteur génère en permanence des déchets sensibles qui doivent être traités de manière appropriée, dans le respect des obligations légales, ce qui n’est pas une mince affaire. Au fil des années, nous avons acquis un savoir-faire considérable et sommes en mesure d’offrir à nos clients, sous la marque REMED, une large palette de prestations allant de la collecte, à la logistique et au recyclage des déchets médicaux.
Les années passant, nous avons été amenés à aborder de nombreux autres domaines d’activité tout aussi porteurs. Ainsi, en 2006, nous avons élargi notre activité locale de gestion des déchets en rachetant la société Urs Sigrist AG à Beringen. Il convient également de mentionner, en 2009, le contrat d’exploitation du centre de traitement des déchets spéciaux situé dans le canton de Genève par le biais de la société CDTS SA. En 2014, la société REMONDIS Chemical Waste Services AG (RECHEM) a vu le jour à Schaffhouse. RECHEM accompagne des entreprises pharmaceutiques, chimiques et industrielles de renom dans leur démarche de gestion et d’élimination des déchets sensibles.
Puis s’en est suivi, en 2019, le rachat de la société K. Müller AG à Wallisellen. Nous y exploitons notamment le plus grand centre de recyclage de Suisse. Et enfin, en 2022, nous avons eu l’opportunité de reprendre la société Chiresa AG, grâce à laquelle nous avons pu élargir notre palette de services dans le domaine des déchets spéciaux, notamment en matière de lavage des cendres volantes et de nettoyage des wagons-citernes ferroviaires.
Ce petit tour d’horizon historique montre bien à quel point l’activité en Suisse est atomisée mais surtout combien nous avons su, au fil des années, nous diversifier pour proposer à nos clients, qu’il s’agisse de collectivités locales, du secteur privé ou d’industriels, des solutions complètes et personnalisées.
RE:VIEWS: Existe-t-il selon vous des domaines d’activité qui vont gagner en importance à l’avenir ?
Pierre Vasseur: Nous avons à cœur de faire progresser l’économie circulaire en Suisse grâce à des solutions innovantes et durables. C’est pourquoi, avec la société Chiresa AG, nous nous engageons dès à présent dans le démantèlement de batteries lithium-ion. Notre objectif est d’offrir une « seconde vie » au plus grand nombre possible de batteries, c’est-à-dire de permettre leur réutilisation. Selon nous, le potentiel de développement dans ce domaine est immense !
RE:VIEWS: Si vous deviez formuler un vœu pour l’avenir de l’économie circulaire en Suisse, quel serait-il ?
Pierre Vasseur: Dans l’ensemble, je considère que la Suisse est très en avance sur le sujet et que l’économie circulaire y est déjà solidement implantée et bien organisée. En comparaison avec certains pays de l’UE, nous avons même déjà une bonne longueur d’avance dans bien des domaines. Nous entrevoyons déjà de nombreuses perspectives prometteuses en matière de recyclage, dans le domaine des plastiques par exemple. Il existe actuellement plusieurs systèmes de collecte relevant de l’initiative privée, qui devraient être étendus à terme au niveau national.
Cependant, en raison de notre système profondément fédéraliste, certaines prises décisions peinent à intervenir et s’appliquent de manière différente d’un canton à l’autre. Sur ce point, je souhaiterais parfois une plus grande coordination entre les différentes instances, car, au final, nous devrions tous agir dans le même sens et œuvrer ensemble au développement de notre économie circulaire dans le souci d’un avenir plus durable.
Crédits photographiques: photo 1, 3: Adobe Stock: Brilliant Eye; photo 2, 4: © REMONDIS